En effaçant les frontières de la création individuelle, cette série se déploie comme une négociation entre deux sensibilités artistiques, un dialogue de gestes, de couleurs et d'idées qui fusionnent en un langage visuel partagé. Dans cette interview exclusive, Euphrosyne Andrews et Daniel Fletcher reviennent sur les limites à la fois concrètes et conceptuelles, le rythme de leur collaboration, et l'évolution du paysage entre le « tien », le « mien » et le « nôtre ».
Vos pratiques individuelles abordent les frontières différemment. Comment ces deux approches se sont-elles apprivoisées lorsque vous travailliez sur une même toile ?
Bien que nos pratiques expriment les frontières différemment, de nombreux points de convergence existent : frontières de l'espace, de la nature et de la structure, environnements construits et naturels, le doux et le dur, les qualités formelles de l'œuvre, le langage de l'abstraction, les seuils et l'espace social.

On pourrait définir une frontière comme un point de rencontre entre deux contrastes : un contraste de couleur, de geste ou de rythme, ou entre des espaces physiques, publics ou privés, construits ou naturels. En ce sens, nos deux pratiques, bien qu'émergent des perspectives conceptuelles différentes, se recoupent dans tous ces domaines.
Cette idée de la frontière comme point de rencontre s'incarne au sein de ces œuvres. Le papier devient un nouvel espace, et nous négocions cet espace ensemble, en répondant aux qualités spatiales physiques des paysages avec lesquels nous travaillons comme aux qualités formelles des gestes et des couleurs utilisés. Plutôt que d'aborder chacun les frontières différemment, les frontières se forment à travers notre négociation commune de la toile.

Par exemple, durant l'élaboration d'une peinture, certaines zones peuvent être masquées avant d'être retravaillées. La section révélée devient alors un nouvel espace au sein d'un espace, une frontière à explorer aussi bien comme représentation du paysage (une haie ou une intersection) que comme point de rencontre entre gestes et processus.
Vous décrivez le travail comme « passant d'avant en arrière entre nos deux mains et objectifs ». À quel moment une peinture cesse-t-elle d'être « la tienne » ou « la mienne » pour devenir « la nôtre » ? Avec cela en tête, y a-t-il des pièces auxquelles vous êtes particulièrement attachés ?
Plutôt qu'un transfert de propriété défini, les œuvres sont conçues conjointement. Nous sommes tous deux présents tout au long des processus de l'autre, et le concept de chaque œuvre naît d'un dialogue partagé au sein d'un temps partagé.

Nous réalisons chacun des études indépendantes en parallèle des œuvres collaboratives, qui servent de points de départ et de recherche. Nous examinons ces études ensemble et décidons quels éléments porter dans les pièces collaboratives. Nous générons un grand volume de travaux pendant le développement, dont une grande partie n'aboutit pas.
Au sein de cette série, nous avons produit plusieurs diptyques auxquels nous sommes tous deux particulièrement attachés, car c'étaient les premiers du genre. Ils combinent une approche conceptuelle (explorant deux passages de temps ou comparant des sujets distincts au sein d'une même œuvre) avec les défis techniques et créatifs qui découlent de la gestion de ces éléments mobiles supplémentaires.

Avez-vous établi des règles ou des limites pour travailler ensemble, ou l'absence de règles faisait-elle partie du processus ?
Nous avons une méthode de travail souple, guidée en partie par les matériaux et l'évolution de nos processus communs. Il ne s'agit pas de règles strictes : une peinture peut être retravaillée différemment selon le sujet ou si nous estimons qu'elle n'a pas encore atteint son état final.
Nous partageons tous deux une formation en gravure d'art, et les méthodologies de la gravure sous-tendent nos deux pratiques individuelles. Nous avons une compréhension innée du travail en couches, des contraintes liées aux processus d'impression traditionnels, et d'une certaine précision propre à ces techniques. Cette compréhension partagée forme un cadre inconscient qui façonne notre approche collaborative.
Euphrosyne, votre travail aborde souvent les politiques de l'espace : public versus privé, divisions genrées ou invisibles. Comment ces idées se sont-elles manifestées en cartographiant les paysages ruraux ?
Je vois les frontières et les marqueurs des paysages ruraux comme des métaphores des divisions de l'espace dans mon travail. Des haies denses ponctuées d'épines côtoient des plantations soigneusement taillées qui revendiquent une parcelle, un rebord métallique austère dissuade l'intrusion, tandis que de délicats rideaux ornés de roses adoucissent les épines, domestiqués pour embellir le foyer.

Je m'intéresse à l'histoire de ces frontières et aux plantes utilisées pour les créer. Dans les paysages ruraux, je suis attirée par les plantes au double rôle : celles qui poussent naturellement dans leur habitat mais sont aussi cultivées et contrôlées dans les environnements urbains. Le troène, par exemple, pousse naturellement le long d'une grande partie de la côte sud-ouest de l'Angleterre, et cette même plante compose les haies urbaines qui délimitent l'espace public de l'espace privé.
Les couleurs, formes et textures de ces paysages ruraux font aussi écho à l'histoire des arts décoratifs, où des motifs floraux stylisés ornaient les meubles pour apporter la présence apaisante de la nature dans le foyer.

Daniel, vos gestes portent souvent une forte charge émotionnelle. Comment cherchez-vous à incarner le paysage à travers vos gestes ?
Normalement, la couleur et le geste ont une importance égale dans mon travail. Pour ces pièces collaboratives, la couleur était principalement introduite par Euphrosyne, me permettant de me concentrer sur les gestes et l'application physique de la peinture. J'ai travaillé intuitivement, changeant continuellement de rythme et de geste, parfois de façon assez agressive puis avec des moments de calme, cherchant à refléter les formes libres et le mouvement du paysage.
Les vents forts fouettant les fougères mortes ont suscité des coups de pinceau vifs et variés, les graines d'ajoncs éclatant sous le soleil de mi-été ont évoqué des gestes erratiques et pointus, tandis que de délicates fleurs sauvages oscillant dans la brise ont inspiré des mouvements plus larges et fluides. L'acte de peindre est devenu une réponse directe à l'environnement ouvert dans lequel l'œuvre a été réalisée.

Vous parlez des peintures comme de « distillations initiales » du paysage. Pouvez-vous développer ? Que signifie pour vous deux distiller le paysage ?
Lorsque nous parlons de « distillations initiales », nous faisons référence à la manière dont ces œuvres décomposent les éléments fondamentaux du paysage, en représentant nos intérêts visuels sous une forme simplifiée et concentrée. Elles capturent une essence plutôt qu'une représentation : présentant un langage visuel condensé qui sépare mais combine forme, concept, couleur et geste. Ce langage concentré se prolonge dans nos pratiques plus larges.
Quel rôle l'intuition a-t-elle joué dans vos gestes, en particulier lors du travail in situ au sein des paysages eux-mêmes ?
Les œuvres sont hautement intuitives, développées en plein air. Certaines ont été réalisées en hiver dans des conditions difficiles, où le temps passé dehors affectait directement le rythme du geste, ou la capacité à masquer ou à affiner des zones délicates. En ce sens, les éléments eux-mêmes sont devenus des collaborateurs. Nous produisons de nombreuses études pour que les œuvres restent fluides et expérimentales, jamais rigides ou surchargées. Elles sont réactives et sensibles, médiatisées par l'environnement immédiat.

Une tension traverse ces œuvres entre rigidité et souplesse. Est-ce lié à la géologie et à l'agriculture, ou plutôt à la dynamique entre vos deux pratiques ?
La relation entre rigidité et souplesse existe dans nos deux pratiques, sur le plan formel comme conceptuel. Formellement, elle se manifeste dans l'interaction entre un trait monochrome affirmé et des lavis de couleur délicats. Conceptuellement, elle reflète la tension entre espaces naturels et construits, entre les matériaux associés au confort domestique et ceux qui servent à dissuader ou à diviser : les tissus d'ameublement souples face aux surfaces métalliques rigides, par exemple.

Beaucoup d'œuvres passent par plusieurs versions avant d'être finalisées. Comment savez-vous quand vous arrêter, et comment vous mettez-vous d'accord ?
L'un des aspects les plus importants de la collaboration est d'avoir un autre regard pour déterminer quand s'arrêter ou continuer. Ce dialogue peut pousser l'œuvre dans des directions inattendues et donne la confiance nécessaire pour s'arrêter à un point inconfortable ou pour continuer plus loin. Travailler en collaboration nous permet de voir notre travail différemment, offrant une liberté rafraîchissante et révélant un potentiel créatif qui pourrait autrement passer inaperçu.
Le processus collaboratif introduit une spontanéité et une fluidité au cœur du travail. Cette spontanéité est toutefois équilibrée par une structure, fournie par les différentes étapes du processus et par nos perspectives respectives.
Ces œuvres abstraites et minimalistes portent toujours une tension : jusqu'où pousser, combien de retenue exercer, où trouver le point où l'œuvre semble aboutie sans aller trop loin.

Attendez-vous que le spectateur les lise comme des paysages, ou comme quelque chose de plus abstrait ? Comment souhaitez-vous qu'ils réagissent ?
Plutôt que de les lire comme des paysages spécifiques, nous espérons que les spectateurs éprouvent les sensations d'être au sein d'un paysage : les sons, les parfums, les rythmes. Les œuvres sont aussi intrinsèquement abstraites et porteront des significations propres à chaque personne.
