Votre dernière exposition personnelle, The Errors of the Void, explorait l’erreur comme un geste profondément humain. En quoi ces nouvelles œuvres prolongent-elles cette réflexion, et comment s’en écartent-elles ?
Le titre a en réalité commencé comme une blague, un jeu de mots entre « terror/error » et notre notion familière de la peur du vide. J'ai découvert l'idée de « l'erreur comme geste humain » dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Il suggère que l'erreur est la chose la plus authentique que nous puissions offrir au monde, car c'est la seule que nous ne contrôlons pas vraiment. Cette idée m'est restée, et elle est devenue centrale dans ma pratique picturale.

Commencer une peinture, c’est comme plonger dans l’inconnu, avec l’espoir d’y découvrir quelque chose que je n’avais pas encore imaginé. Je travaille de manière instinctive : il y a des éléments que j’aime et d’autres non. Lorsque j’essaie de corriger ce qui ne fonctionne pas, souvent de façon spontanée, de nouvelles formes apparaissent, des directions que je n’aurais jamais pu planifier.
C’est dans ce va-et-vient avec l’erreur que l’œuvre évolue réellement. J’aime que mes peintures contiennent à la fois des choses que j’aime et d’autres que je n’aime pas, comme la vie elle-même. Et lorsque tout commence à paraître trop parfait, je ne peux m’empêcher de me demander ce qui manque.
Vous décrivez le vide comme un espace « nécessaire pour que tout puisse émerger et se transformer ». Dans cette nouvelle série, quelles formes de transformation observez-vous ?
Il y a un livre que j’admire beaucoup de François Cheng, Vide et Plein, qui explore la peinture chinoise et ses racines philosophiques. Cheng explique comment, dans l’art chinois, le vide est souvent représenté par la forme d’une vallée : un espace où tout est sur le point d’advenir, de se transformer. Cette idée a profondément résonné en moi, et je l’ai reliée à un passage de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa les Cieux et la Terre. La Terre était informe et vide, les ténèbres couvraient la surface de l'abîme, et l'Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux… »
Une grande partie de cet esprit est présent dans mes peintures : le vide comme un espace fertile, chargé de potentiel, où les formes émergent et se transforment, parfois de manière inattendue, parfois inévitable.

(acrylique, synthétique, crayon, pastel à l'huile, découpes de toile et de papier, 160 x 180 cm, 2025)
Votre pratique puise dans un vaste champ de références : livres, passages annotés, souvenirs d’enfance, jeux vidéo, philosophie, et plus encore. Comment naviguez-vous entre ces sources ? Se heurtent-elles parfois ou cherchez-vous à les harmoniser ?
Parfois elles se heurtent, et d’autres fois j’essaie de les guider un peu. Il y a des moments où j’ai une idée claire de ce que je veux faire, et d’autres où je n’en ai absolument aucune, et cela me convient. Quand cela arrive, je trouve souvent un refuge et une forme de repère dans les lieux ou les moments où j’ai été heureux. Je prends un peu ici, un peu là, et c’est ainsi que je commence à tracer le chemin.
Vous évoquez les échos des jeux vidéo des années 1980 et 1990 comme sources d’imagination. Qu’est-ce que ce langage pixelisé du jeu vous apporte aujourd’hui en tant qu’artiste ?
D’abord, le souvenir du plaisir que j’ai eu à cette époque, en jouant à Montezuma’s Revenge, Shinobi, Tetris, Mario Bros., Golden Axe, et bien d’autres. Au-delà du jeu, j’aimais observer comment ces graphismes étaient construits. C’étaient essentiellement des arrière-plans statiques qui, grâce au mouvement de quelques figures ou changements de couleur, créaient l’illusion d’un monde en mouvement, alors qu’en réalité on restait au même endroit.
Dans mes peintures, j’aime jouer avec quelque chose de similaire. Il y a le côté fluide, pictural d’un côté, et la structure plus rigide issue du collage de l’autre. Ces interventions en collage suggèrent souvent un sentiment de mouvement. Il y a beaucoup d’ironie et une touche d’humour dans ce dialogue entre immobilité et dynamisme.

(acrylique, crayon, découpes de toile et de papier, techniques mixtes, 160 x 180 cm, 2024)
Vous avez déjà mentionné suivre des cours de philosophie. Ces enseignements influencent-ils votre approche de la peinture ?
Oui, c’est une véritable source d’inspiration. Beaucoup de mes idées, voire certains titres, en viennent. La philosophie m’offre des manières de penser les concepts, les arguments, les contradictions, et tout cela se traduit naturellement en langage visuel. Il ne s’agit pas d’illustrer des idées philosophiques, mais plutôt de voir comment ces discussions stimulent et façonnent mon processus créatif. Parfois, les peintures deviennent une sorte de dialogue visuel, une façon de travailler des questions sans chercher de réponses claires.
Les personnages qui apparaissent dans vos œuvres, tels que les rochers, les œufs ou les êtres mystiques, semblent aussi ludiques que profonds. Les considérez-vous comme des compagnons issus de vos souvenirs ou comme des figures en train de se former dans l'œuvre ?
Je pense qu’ils sont davantage des figures qui prennent forme au sein même de l'œuvre, même si certains m’accompagnent depuis longtemps. Ce sont des incarnations abstraites d’idées et de pensées, qui trouvent leur propre manière de se manifester à travers la peinture.

Lorsque vous « discutez, débattez et jouez » avec ces êtres, vous surprennent-ils parfois avec des réponses inattendues ?
(Rires) Oui ! Parfois, ils m’aident à prendre des décisions concernant l’œuvre. Je leur demande ce qu’ils font et ce qu’il faudrait ajouter à la peinture pour qu’ils soient satisfaits. D’autres fois, ils agissent comme des miroirs, ou comme des témoins des conversations que j’ai en réalité avec moi-même.
Y a-t-il un personnage ou une forme dans cette nouvelle série qui vous semble particulièrement vivant en ce moment ?
Oui, le monolithe noir. C’est comme un rocher qui a toujours été là, observant tout sans jugement. C’est une sorte de figure philosophique que j’aime imaginer épicurienne.
Puis il y a les œufs. Ils me rappellent les œufs de Pâques, toujours porteurs d’une promesse de surprise, mais finalement il ne se passe rien. Il y a aussi les sphères, suspendues dans l’espace, à la fois fruits et planètes ou corps célestes.

(acrylique, crayon, pastel à l'huile et collage de papier sur toile, 80 x 180 cm, 2025)
Vos titres sont très marquants. Comment trouvez-vous ces expressions, et quel rôle joue le langage dans la manière dont le spectateur aborde l’œuvre ?
Je les tire généralement de choses que je lis ou de phrases que j’entends. Je les note souvent, puis je les modifie ou les adapte. Mes peintures ne naissent presque jamais avec un titre ; elles le trouvent plutôt à la fin. Et une fois trouvé, le titre m’aide souvent à compléter la peinture. Parfois j’inscris la phrase discrètement sur l’œuvre, parfois non.
Je ne pense pas que les titres soient nécessaires pour se connecter à l’œuvre, mais pour ceux qui cherchent une lecture plus approfondie, ils offrent une autre couche de sens.
Le titre I Love the Way You Pushed to Get Here est emprunté à une chanson de Kate Tempest. Qu’est-ce qui, dans ses mots, a résonné avec votre propre recherche d’accord au sein de la toile ?
J’aime beaucoup la poésie de Kate Tempest et sa manière de la performer. Mais au-delà de ça, cette phrase particulière s’est imposée en lien direct avec cette peinture. C’est une forme de reconnaissance, pour tout le monde, moi compris, de l’effort nécessaire pour atteindre nos objectifs.
Dans la peinture, on voit un mât avec une torche au sommet, entouré d’un ciel orageux. Cela me rappelle quelque chose que mon père disait : « Persévère et tu triompheras », qui, je crois, est une citation de Sénèque.

La phrase espagnole « Yo cumplo deseos, no hago milagros » a une certaine dureté, presque un refus. Comment cette tension entre promesse et limite se traduit-elle dans la peinture elle-même ?
Je ne me souviens plus exactement d’où vient cette phrase, mais elle m’est venue en travaillant sur la peinture. On y voit un groupe d’œufs attendant que celui du centre exauce leurs attentes, et bien sûr, rien ne se passe.
Vous avez décrit les erreurs comme les « traces d'une histoire non écrite ». Voyez-vous les spectateurs comme des co-auteurs qui complètent cette histoire par leur propre regard ?
J’aime le penser, oui. Chaque spectateur apporte sa propre interprétation, et cela me semble essentiel. Les erreurs et les traces dans la peinture font partie d’une histoire plus vaste, non écrite, qui ne se complète qu’à travers la rencontre avec quelqu’un d’autre. En ce sens, le spectateur devient un co-auteur, ajoutant ses propres chapitres à travers son interprétation.
Le collage, qu’il soit en papier, crayon ou matériaux synthétiques, occupe une place importante dans cette série. Que permet le collage que la peinture seule ne permet pas ?
Le collage a toujours fait partie de ma pratique. J’aime combiner la fluidité de la peinture avec la matérialité plus tangible des découpages papier ou des photographies. D’un côté, cela me permet de reproduire des motifs que j’affectionne (feuilles, flèches, cheveux, yeux, tasses, etc.) créant une sorte de hiéroglyphes ou de langage secret. De l’autre, cela rend la composition plus ludique.
Pour cette partie du processus, je travaille avec la toile posée à plat sur une table, en disposant les fragments comme les pièces d’un jeu de société.

(acrylique, crayon, pastel à l'huile, synthétique, découpes de photos et collage de papier sur toile, 150 x 120 cm, 2025)
Espérez-vous que le spectateur aborde ces œuvres comme une énigme, un dialogue, ou un terrain de jeu ?
Je serais heureux que l’une ou l’autre de ces trois approches ait lieu : que le spectateur aborde le travail comme une énigme, un dialogue ou un terrain de jeu. Chaque interprétation ouvre une nouvelle manière d’entrer en relation avec l’art, et cette ouverture est quelque chose que j’apprécie profondément.
