Inspirée par les formes et textures complexes que l’on trouve dans la nature, Ariadna Dane s’attache depuis longtemps à transformer ces détails souvent négligés en véritables écosystèmes visuels. Ses formes se frôlent, se dissolvent et se recomposent, évoquant les cycles de création et de disparition du vivant, et brouillant la frontière entre le tangible et l’abstrait.

Son travail récent s’éloigne pourtant de la simple observation du végétal pour l’incarner, en faire une métaphore de l’expérience humaine. Là où ses œuvres précédentes ressemblaient à des poèmes visuels dédiés à la nature, Tenderbeing se lit comme un journal intime : personnel, en quête, sans fard. Chaque peinture est accompagnée de courts poèmes, comme des portes d’entrée vers le terrain émotionnel de l’image, offrant au regardeur un temps de pause et de réflexion.

Dans les plantes, Ariadna Dane voit un reflet de la condition humaine – non pas dans leur beauté, mais dans leur persévérance. Dans leur capacité à traverser l’ombre et à se hisser vers la lumière. À travers elles, elle a trouvé un moyen d’exprimer la vulnérabilité sans s’y perdre. « J’ai compris que je pouvais raconter des histoires émotionnelles sans les montrer littéralement. Et, d’une certaine façon, cela les rendait plus fortes, plus vraies. »
Chacune des œuvres de Tenderbeing est née d’un souvenir – lutte silencieuse ou confrontation intime. Plutôt que de les représenter directement, l’artiste s’est assise face à ces émotions en se demandant : Si c’était une plante, quelle forme prendrait-elle ? Quelle couleur aurait-elle ? Quelle posture adopterait-elle ?
Ce qui en résulte, ce ne sont pas des études florales, mais des portraits émotionnels. Des compositions monochromes dont les teintes semblent moins choisies que dictées par l’évidence.

L’œuvre Memories, par exemple, se drape d’un vert éteint. « En réalité, c’est un vert de trèfle, explique-t-elle, comme ceux que je cueillais enfant en formulant des vœux. Cette couleur devait être verte, mais pas un vert vif. Je cherchais une nuance retenue, presque translucide, pour traduire l’effacement de ce souvenir. C’est flou, comme vu à travers une vitre. »

Held, parcourue de violets, de roses et de bleus, adopte une palette proche de l’ecchymose. Elle saisit cette alchimie étrange et familière entre blessure et guérison. Le rendu est à la fois tendre et douloureux. Matériellement, Ariadna Dane travaille sur du papier chiffon de coton fait main, dont la texture irrégulière donne une impression de peau. « La surface me semblait juste, dit-elle. Inégale, changeante, à la fois physique et émotionnelle. Elle est humaine. »

Avec Embodied, elle va plus loin. La forme, à la fois charnue et informe, semble se contracter et se retirer, ses contours fibreux rappelant un cocon. Des rouges cramoisis fleurissent depuis son centre cavernueux. Rien de prémédité, selon l’artiste, mais évident après coup : « Je peignais un moment de transformation, une renaissance. Et qu’y a-t-il de plus bouleversant qu’une entrée dans la maternité ? »

Sans arrière-plan ni horizon, ses compositions sont resserrées, concentrées. Dans ce cadrage serré, elles reflètent la manière dont une émotion peut tout envahir, absorber le regard et l’esprit. « Quand on ressent quelque chose très fort, cela devient tout notre monde. C’est ce que je voulais transmettre. »
Malgré cette intensité, Tenderbeing ne crie jamais. La série porte en elle un murmure, une retenue qui attire le regard plutôt que de le heurter. « Elles chuchotent, elles ne crient pas », confie l'artiste. « Elles demandent doucement votre attention. »
Cette tension entre vulnérabilité et pudeur, dévoilement et protection, est au cœur de la série. Ariadna Dane, de nature réservée, partage rarement ses pensées les plus intimes. Avec Tenderbeing, elle a accepté de s’exposer, morceau par morceau. Certaines œuvres comportent des découpes : des vides réels qui portent un poids symbolique.

Dans Core, des pétales manquent, arrachés, laissant apparaître un vide central. Dans Embodied, ils semblent au bord de la chute, capturant cet instant avant la perte ou la métamorphose. Ces espaces parlent du deuil, mais aussi de potentiel. « Ces découpes ne sont pas décoratives, insiste-t-elle. Elles racontent ce qui manque, ce qui ne peut être peint. Pour certains, ce seront les parties de nous qui resteront toujours secrètes. Pour d’autres, peut-être un trou dans la compréhension d’une expérience. Parfois, l’absence dit plus que la présence. »

Au fond, Tenderbeing n’est pas une demande de compassion mais une invitation : reconnaître en soi l’inexprimé, habiter l’indicible. Les œuvres offrent un miroir à notre propre résilience. « Il y a tellement de choses cachées dans chaque peinture, conclut Ariadna Dane. Même moi, je n’en ai pas encore atteint le fond. Et peut-être que je ne le ferai jamais. C’est ça, être humain : nous sommes toujours en train de traverser. »
