Avec une forte sensibilité narrative, David Schmitt, alias TUYO, navigue entre art populaire, culture pop et dessins pariétaux. Un mélange qui interroge notre mémoire collective, notre culture visuelle, et ce pouvoir brut qu’a toujours gardé l’image de raconter des histoires. Plongée dans une pratique qui se revendique comme « profondément humaine ».
Y a-t-il eu un moment ou une image précise qui vous a conduit vers la peinture comme forme de récit ?
Au départ, c’est l’illustration numérique qui m’attirait. Je n’ai jamais eu un talent naturel pour le dessin réaliste, mais j’avais une bonne intuition de ce à quoi une image devait ressembler. Le numérique m’a permis de corriger, d’essayer, sans gaspiller de matière. Ensuite, les techniques d’impression artisanales sont arrivées, puis la peinture. C’est devenu un parcours d’expansion, chaque étape ajoutant une nouvelle dimension à ma pratique.

Comment votre formation en design graphique a-t-elle influencé, ou peut-être remis en question, votre chemin vers la peinture et la gravure ?
J’ai compris assez vite, pendant mes études, que je ne voulais pas devenir graphiste au sens traditionnel. Pas de logos ni d’identités visuelles. Mais j’y ai appris l’essentiel : la typographie, la composition, la hiérarchie visuelle. Aujourd’hui encore, ces notions structurent mon travail. Même en utilisant un langage visuel naïf et direct, je cherche à établir un équilibre entre texte et image, un peu comme on le ferait sur une couverture de livre ou une affiche.

Vous décrivez votre style comme un croisement entre art populaire, art pop et art pariétal. Comment ces univers se rencontrent-ils dans vos œuvres ?
Ce qui me touche dans l’art des premiers humains, c’est cette immédiateté. On entre dans l’image sans filtre. C’est un langage instinctif, universel. Les pictogrammes et les silhouettes que j’utilise peuvent évoquer cette forme d’expression ancienne, comme un art pariétal projeté vers l’avenir.

L’art populaire (ou folk art), quant à lui, reflète une époque, un lieu, une culture. Il est souvent réalisé par des autodidactes à partir d’objets du quotidien. Il peut être décoratif, utilitaire, ou les deux. J’ai un attachement particulier pour les meubles rustiques, les tapis anciens, les objets ornés. Ils racontent sans avoir besoin de mots.
Et lorsque j’intègre à tout cela ma formation de graphiste et l’usage du texte, on glisse naturellement vers une forme d’art populaire au sens contemporain.
Vous évoquez souvent la notion de simplicité « intemporelle ». Que signifie pour vous cette simplicité, à une époque saturée d’images ?
Faire moins, mais avec plus de clarté. En enlevant la couleur, par exemple, je peux faire ressortir la forme, les contrastes, les rapports d’échelle. Si une image fonctionne avec une seule teinte, alors la couleur devient presque accessoire. Elle ne sert plus qu’à souligner.
Comment abordez-vous l’imperfection dans votre travail ? Pourquoi est-il important de préserver, selon vous, l’“âme du monde” ?
Accepter la possibilité de l’erreur est essentiel. Une ligne bancale, un pied disproportionné, un sourire étrange… Ces choses nous ramènent à une expression plus instinctive. Elles n’ont pas besoin d’être logiques pour être sincères. Il y a une beauté réelle dans les détails maladroits. Ce sont eux qui rendent une œuvre accueillante, humaine.

Le folklore et l’artisanat reviennent souvent dans vos références. Est-ce le fruit d’une recherche ou d’un attrait plus intuitif ?
C’est une recherche, oui, mais parce que je me sens naturellement attiré par ces formes. Je les retrouve dans les marchés aux puces, dans des livres pour enfants, dans la poésie, dans certaines céramiques. Il y a parfois une sorte de présence dans les objets, quelque chose de palpable.
Vos œuvres mettent en scène des personnages récurrents. Portent-ils une signification particulière ou symbolique ?
Ces figures reviennent parce qu’elles appartiennent au même univers visuel. Elles sont cohérentes entre elles, mais je ne leur donne pas de signification figée. Elles sont là pour que chacun puisse y projeter son propre récit. Je crois que c’est cette ouverture qui rend le travail accessible. Parfois, poser une question vaut davantage que proposer une réponse.

Dans votre manière de raconter avec la peinture, cherchez-vous à préserver des récits anciens ou à en inventer de nouveaux ?
Les deux sont indissociables. Les récits existent déjà. Ce qui compte, c’est la manière dont on les transmet. J’essaie de croiser des esthétiques anciennes avec une approche plus contemporaine. Repenser les codes. Mélanger les outils modernes à des gestes plus anciens.
Existe-t-il un conte ou un motif visuel vers lequel vous revenez régulièrement ?
Oui, un livre ancien : The Book of Knight and Barbara, publié en 1899. Il rassemble des histoires racontées aux enfants, corrigées et illustrées par eux. C’est rempli de naïveté, souvent drôle sans le vouloir, toujours touchant. Je m’y replonge régulièrement avec plaisir.

La texture et la surface font-elles partie de votre langage narratif ?
Absolument. Mon dessin est simple, mes couleurs souvent limitées. C’est donc la matière qui donne vie à l’ensemble. Les traces d’usure, les irrégularités, les petits accidents de surface… Tout cela raconte aussi une histoire. Ce que je cherche, c’est l’équilibre : que le support accompagne l’œuvre, sans la surcharger.
Pourquoi avoir choisi Barcelone ? Et en quoi la ville a-t-elle influencé votre regard créatif ?
J’y ai terminé mes études de design et je n’ai jamais eu envie de repartir. Il y a ici une énergie artistique, une sorte de bohème contemporaine. C’est une ville habitée par beaucoup de créatifs. L’échange, les visites d’atelier, les discussions entre artistes : tout cela m’a énormément nourri.

En tant qu’autodidacte, comment continuez-vous à vous surprendre dans l’atelier ?
En explorant de nouvelles techniques. Pas pour me réinventer, mais pour élargir mon langage. J’ai récemment expérimenté la broderie et la céramique aussi. Ce sont des gestes différents, mais qui s’inscrivent naturellement dans ma pratique.

Dans un monde où le digital et l’intelligence artificielle prennent de plus en plus de place, quel rôle imaginez-vous pour la main humaine dans l’art de demain ?
Plus la technologie progresse, plus notre attachement à ce qui est fait à la main grandit. Ce n’est pas un phénomène nouveau. La peur de perdre ce qui nous rend humains est tenace. Ce que j’espère, c’est que cette valorisation du geste humain ne devienne pas un luxe réservé à quelques-uns. Mais je reste convaincu que nous avons encore le choix. Et que la grande majorité des gens veulent sentir qu’une main humaine a participé au processus.