Il y a quelque chose de profondément inspirant à observer quelqu’un traversé par une vague de motivation ou d’ingéniosité. Bien que l’inspiration puisse se cultiver, elle demeure une ressource précieuse et capricieuse. Elle se manifeste rarement au moment où l’on en aurait le plus besoin et, lorsqu’elle surgit, elle peut être éphémère.
Héloïse O’Keeffe, qui vient tout juste de donner naissance à son premier enfant, connaît bien les frustrations liées à cette temporalité imprévisible. « Maia ne dort que 25 minutes, au maximum. Il n’y a plus de temps de création non négociable », confie-t-elle. Et, tout comme les bébés, l’inspiration refuse souvent de se plier à nos emplois du temps. Elle ne se présente pas toujours pendant les siestes, peu importe nos supplications.

À mon arrivée, Héloïse me conduit dans son salon baigné de lumière et m’invite à découvrir une grande table où sont disposés une série de dessins en cours. Des corps lisses et ondulants se prélassent sous la lumière de mai filtrant à travers les fenêtres. Des crayons et des livres d’art figuratif parsèment la table, témoignant de son processus créatif.
Sur du papier blanc texturé, des formes métalliques et voluptueuses s’étendent. Le terme « drapées » pourrait suggérer une certaine passivité, mais ces corps sont tout sauf passifs. Ils dégagent une détermination, une assurance dans leur posture qui impose sans être confrontante.

Formée de manière classique, Héloïse O’Keeffe cite Jenny Saville parmi ses influences, ce qui transparaît dans la qualité expressive de ses traits et la physicalité de ses formes. Cependant, contrairement aux œuvres souvent viscérales de Saville, les figures de la jeune artiste sont posées avec calme. Elles ne cherchent pas à provoquer, mais plutôt à exister pleinement.
Ce qui frappe d’emblée, au-delà de la nudité évidente, c’est leur silence. Malgré leur exposition, ces corps ne cherchent ni à choquer ni à défier. Bien au contraire. Ils sont sensuels sans être suggestifs, invitants sans imposer. Ils apaisent et réconfortent ; on souhaite se fondre dans leur sérénité.

Héloïse O’Keeffe travaille avec certaines de ses modèles depuis plusieurs années. Pendant le confinement, lorsque les sessions en personne n’étaient plus possibles, elle a adopté les cours de dessin en ligne. C’est ainsi qu’elle a rencontré des femmes venant de régions aussi éloignées que l’Amérique du Sud, qu’elle continue de dessiner et d’étudier aujourd’hui.
Lorsqu’on lui demande pourquoi elle choisit de représenter des corps plus généreux, elle explique que son travail est moins axé sur la représentation que sur l’honnêteté. « Nous ne savons plus vraiment à quoi ressemble un corps normal. Nous sommes bombardés d’images retouchées sur les réseaux sociaux, les panneaux publicitaires et les publicités. Et, ce qui est effrayant, c’est que certains de ces corps ne sont même pas réels ! Ils sont générés par l’IA. Nous ne sommes pas exposés à des corps normaux, honnêtes, dans les médias ou en ligne. Nous ne voyons pas leurs contours, leur rugosité, leurs bosses ou leurs lignes. »

Outre Saville, d’autres approches historiques de l’art ont influencé le travail d'Héloïse O’Keeffe ; la profondeur émotionnelle de Rembrandt et les études non conventionnelles de Rodin, tous deux connus pour leur refus d’idéaliser la forme humaine. Comme Rodin, qui capturait la nature brute et primale de ses sujets, et Rembrandt, dont les portraits semblent contenir des vies entières en un seul regard, ses figures s’efforcent d’exprimer quelque chose d’interne, de vécu. « Je suis dans un état de flux constant entre le désir de créer des représentations réelles, cellulaires, de la peau et de la texture, et celui de dépeindre l’expérience organique, innée, parfois brute, d’être humain. »
Pendant des années, son plus grand défi artistique a été d’insuffler « une âme et une humanité » à ses compositions. Héloïse O’Keeffe admet avoir traversé une période où ses figures paraissaient un peu plates et sans vie, presque bidimensionnelles, sans qu’elle puisse en identifier la cause. Ce n’est qu’à l’issue d’une résidence conjointe avec R.A.R.O à Barcelone et OpenBach à Paris (culminant avec une exposition à la Yellow Cube Gallery, Paris) qu’elle a réussi à donner un souffle à ses portraits. « Maintenant, je sais quand une œuvre est terminée parce qu’elle semble avoir une âme. Elle a un battement de cœur. Je veux qu’elles paraissent réelles. »

Pour Héloïse O’Keeffe, l’essentiel est que ces figures ne soient pas de simples simulacres, mais qu’elles semblent vivantes. « Il ne s’agit pas de naturalisme. Il s’agit de capturer quelque chose d’essentiel sur le fait de vivre dans un corps de femme aujourd’hui. La maladresse. La force. La douceur. La tension. » Son utilisation de matériaux secs, tels que le graphite, le fusain et le pastel, accentue l’état intime et immédiat que son travail dépeint.

Actuellement, Héloïse O’Keeffe travaille sur une nouvelle série de portraits plus grands et plus ambitieux, illustrant avec un geste enthousiaste l’ampleur de sa vision. « Je veux que mon travail et ces femmes occupent plus d’espace », affirme-t-elle. « Je souhaite encourager des conversations plus profondes sur la conscience de soi et l’identité, et continuer à contribuer à la redéfinition en cours de la manière dont nous percevons le corps féminin. »
Ces femmes semblent avoir été saisies en plein moment, simplement en train de savourer leur propre compagnie. Avec le recul, je réalise que ce que j’ai ressenti en les regardant était une forme de nostalgie, un désir d’être aussi à l’aise dans mon corps, au point de pouvoir m’y attarder sans être dérangée, drapée comme dans une robe de soie et réchauffée par le soleil.