Très peu d'artistes peuvent dire que Francis Bacon a un jour acheté l'une de leurs œuvres. Mais Fred Ingrams le peut.
Fred Ingrams est un peintre britannique à succès qui a passé les sept dernières années à peindre les Fens, un paysage industriel apparemment sans relief dans l'est de l'Angleterre. Qu'est-ce qui l'a amené là-bas ? Un jour, l'artiste s'est rendu dans un coin de paysage étrange qu'il avait repéré sur Google Earth. C'étaient les Fens. Et au milieu de ces plaines plates et marécageuses, l'artiste a trouvé l'inspiration qu'il cherchait. « C'est un lieu, dit Fred Ingrams, rempli d'histoires étranges, de mythes, de noms de lieux insolites et de personnages singuliers. »
Nous voulions en savoir plus sur la fascination de l'artiste pour les Fens, son amour pour les acryliques et son insistance à peindre sur le motif.

Quel est votre processus et quels matériaux utilisez-vous ?
Je peins à l'acrylique depuis que j'ai commencé mon cours de peinture à la Camberwell Art School au début des années 1980. Les professeurs refusaient de m'enseigner si je continuais à utiliser des acryliques, donc j'ai dû partir. C'est difficile à croire aujourd'hui, mais beaucoup de professeurs à l'époque considéraient que l'utilisation de l'acrylique n'était pas de la « vraie » peinture.

J'ai toujours peint sur panneau car je n'aime pas le rebond que l'on obtient avec la toile. J'utilise un couteau bien aiguisé pour gratter la peinture, et comme j'appuie très fort, je passerais à travers la toile. Je peins de cette manière depuis 30 ans.

Qu'est-ce qui vous attire dans les Fens ?
Depuis que j'ai vu les œuvres de Richard Diebenkorn à la Whitechapel Gallery en 1991, je cherchais un paysage composé de grilles et de plans de couleur. Un jour, en regardant sur Google Earth, j'ai vu une forme longue et étrange dans le paysage près de Kings Lynn. Je ne comprenais pas ce que c'était, alors j'ai décidé d'aller voir par moi-même.

Je me suis retrouvé à Welney, sur les rives de la rivière Bedford, qui forme un côté des Ouse Washes. En regardant le paysage vers Littleport, j'ai réalisé que j'avais trouvé le paysage que je voulais peindre. C'est un paysage très vide, un endroit où l'on peut être seul. J'ai besoin de cet espace et de cette tranquillité pour peindre. Quand j'y suis et que j'installe mon chevalet, je me sens différent, physiquement et spirituellement.
Pourquoi peignez-vous sur le motif plutôt qu'à partir de photographies ?
La mémoire est très importante pour moi dans mon travail. Je veux peindre “à propos” du paysage et non “le” paysage. Les photographies déforment la perspective et réduisent les objets à l'horizon. Je les utilise comme référence, mais j'essaie de travailler principalement à partir des esquisses que je fais sur place. Souvent, une étude peut prendre quelques heures, et pendant ce temps beaucoup de choses changent, mais je garde en mémoire ce moment que j'essaie de retranscrire dans mon travail.

Les paysages les plus ennuyeux sont ceux qui cherchent seulement à enregistrer ce qui est devant l'artiste. Les peintures réalisées à partir de photos ne sont que cela. Je crois vraiment qu'il faut connaître et comprendre un paysage. Plus j'en apprends sur les Fens, plus j'ai besoin de les peindre.

Qu'avez-vous ressenti lorsque Francis Bacon a acheté l'une de vos œuvres ?
Francis Bacon est venu au vernissage de l'exposition inaugurale d'une nouvelle galerie à Soho appelée Birch & Conran Gallery. Je pense qu'il a acheté le tableau plus pour soutenir la galerie que parce qu'il l'aimait vraiment.

Il m'a dit que c'était le meilleur travail de l'exposition, mais je sais qu'il achetait souvent des peintures pour ensuite les détruire. Cependant, j'étais jeune et c'était une soirée très excitante. Par la suite, j'ai appris à le connaître un peu car je fréquentais le Colony Room, son club préféré.
Parlez-nous de votre atelier. Qu'aimez-vous dans cet espace ?
J'ai terminé la construction de mon nouvel atelier l'année dernière. Jusqu'alors, j'avais toujours peint dans des espaces sombres, humides et lugubres, soit parce qu'ils étaient bon marché à louer, soit parce que c'était le seul endroit disponible.
J'ai donc transformé deux écuries en un espace lumineux, blanc, chaud et sec, avec beaucoup de lumière naturelle. Au début, cela m'a semblé très étrange, mais à mesure que l'endroit s'est rempli de toiles, de mes affaires et que de la peinture a éclaboussé le sol, l'endroit est devenu très confortable, très calme et paisible.